HARRISON KENNEDY : Soulscape

Avec cet album, Harrison Kennedy (d’origine canadienne) nous ramène aux origines du blues traditionnel, authentique et lancinant… celui des champs (et je n’ai pas dit du Delta). Loin du blues urbain et de la nitroglycérine distillée par un Muddy Waters, par exemple, nous sommes plutôt proches des mélopées tristes et nostalgiques des esclaves retournant vers leur baraquement dans le soleil couchant. Un disque à l’ancienne. La preuve : l’absence de batterie. Les percussions se font avec tout ce qui tombe sous la main (cuillères ou planche à laver). Multi instrumentiste (guitare, banjo, mandoline, harmonica), Harrison Kennedy s’adjoint les services d’un piano occasionnel. Une guitare rythmique par ici, une contrebasse ou une touche d’orgue par là, et c’est parti pour un voyage au pays du vieux Blues, guidé par la voix profonde d’Harrison, une voix de vieux bluesman noir (je ne pense pas qu’il soit si âgé, d’ailleurs) qui transpire l’émotion. Composé uniquement de titres inédits et personnels (hormis un morceau), cet album se révèle être un catalogue ethnologique musical.L’hypnotique « Voodoo », avec sa contrebasse entêtante et ses syncopes au piano, est assaisonné avec un harmonica discret mais efficace.

« Cat and Mouse Thang », avec sa guitare rythmique en phasing et ses phrases d’harmonica s’apparente à un blues du bayou. Le poignant « Back Alley Moan » commence a capella, dans le style des lamentations des esclaves dans les champs de coton. La voix d’Harrison Kennedy, grave et gorgée de feeling, est ensuite accompagnée par un chant d’harmonica et un piano squelettique. On est frappé par l’efficacité d’un tel dépouillement.
« Crap Shooter Blues », avec banjo et harmonica, se situe à la frontière du Bluegrass et du Blues et me rappelle quelqu’un que nous connaissons bien. Il est en effet impossible de ne pas penser à Shorty Medlocke et du coup, nous comprenons mieux les influences qu’il citait en exemple. « Lookin’ For Happy » (un morceau mi-blues, mi-gospel), avec seulement une guitare et un fond d’orgue, est sans doute le meilleur titre de l’album. On pourrait sans peine l’imaginer interprété par Gregg Allman. Harrison reprend le traditionnel « Chain Gang Holler », seul au chant avec un « bâton de pluie » comme percussion. « Chairman of The Board » reste dans la grande tradition de Sonny Terry et Brownie Mc Ghee (guitare et harmonica). Le tempo est marqué sur le pied de micro. Il faut également noter le très bon « Two Bullets Later », avec banjo et harmonica.

Voici donc un disque pour les amoureux du blues ancestral. Les connaisseurs ne s’y tromperont pas. Le grand BB King lui-même n’a-t-il pas proclamé Harrison Kennedy meilleur bluesman du Canada ?

Olivier AUBRY